Chers amis,
Alors que je me prépare à faire bientôt un petit saut en Bretagne, j'ai envie de partager avec vous ce texte magnifique écrit par ma marraine littéraire, l'écrivain Yveline Féray, à propos d'un endroit plein de spiritualité et de magie, l'Abbaye de Léhon. Dans ce texte, reposent l'esprit et le coeur de ma Bretagne natale, et sa fin est si belle qu'elle me donne des frissons.
Si jamais vous allez faire un tour en Côtes-d'Armor (là où se déroule Les Maîtres de l'orage), je vous recommande vivement de faire un détour par la merveilleuse ville médiévale de Dinan et par la magique Abbaye de Léhon. Croyez-moi, vous ne le regretterez pas!
A très vite!
ABBAYE DE LEHON
TERRE DES DIEUX,
TERRE DES SAINTS,
TERRE
DES HOMMES
« Je suis né trois fois »
Taliésin,
barde du Vème siècle
« La Bretagne, écrivait Saint-Pol
Roux, est
un univers » et dans certains lieux, nous sentons plus
qu’ailleurs cet univers s’entrouvrir et respirer.
Certains lieux nous
appellent et, d’instinct, nos pas nous y conduisent dans on ne sait quel secret
espoir de retrouvailles avec ces très anciennes demeures qui furent les nôtres
et dont nous conservons, d’âge en âge, la récurrente nostalgie sinon la
mémoire.
Ainsi au sortir de
Dinan, par l’ancienne route de Nominoë, premier roi de Bretagne, puis par celle
de l’Abbaye qui longe la butte féodale, couronnée de ses pâtés d’enfant sage,
et descend au cœur du vieux bourg, nous marchons vers cet acte de foi d’avant
l’an mil : l’Abbaye de Léhon.
La voici, d’abord en son
enfance, chapelle en bois, abritant les reliques de Saint-Magloire ;
église ensuite, édifiée au IXème siècle grâce aux pierres d’un temple
gallo-romain, brûlée avec son village au Xème siècle par les Normands et
reconstruite au XIIème siècle « dans la pure tradition monastique »,
remaniée et son cloître roman rebâti au XVIIème siècle, puis sur ordre de Louis XV - quittée au XVIIIème siècle par ses
moines contraints à l’abandon, vendue aux enchères, comme bien d’Etat, pendant
la Révolution, tour à tour brasserie, manufacture de toiles à voile et
filature, tannerie, école, avant d’être cédée au XIXème siècle à la mairie de Léhon pour, d’ancienne église
abbatiale, devenir église paroissiale du village, ainsi sauvée de la ruine
avant d’être classée « Monument historique » et dans la seconde
moitié du XXème siècle, bénéficier de réhabilitations successives.
La voici donc, élevant
est-ouest selon la règle, son église romane et gothique au fond de son
verdoyant vallon, tendrement enlacée par la Rance, sous la protection des
collines et des vestiges du château de Léhon…
Les jours ordinaires -
s’ouvrent à nous, le petit jardin botanique du cloître, cœur du monastère et
l’abbatiale Saint-Magloire, avec dans leurs enfeus, les remarquables gisants
des Beaumanoir et ceux de deux dames châtelaines, le reliquaire du saint
fondateur porté par un moine accoudé, un livre à la main à la table des nuages,
les sculptures de bois ciré de Saint Joseph à l’Enfant et de la Vierge datant
du Grand Siècle et du suivant, le bénitier, ancienne cuve baptismale du XIIIème
siècle, au rebord usé par les faux des pieux moissonneurs selon la coutume
d’antan…
Ces jours-là,
franchissant le vieux pont de Léhon jusqu’au chemin de halage, nous pouvons
encore contempler entre les arbres, le chœur de l’Abbaye, les vitraux de sa
rosace et de sa large baie à meneaux,
par delà la ceinture moirée du canal d’Ille - et- Rance, dans l’écrin de paix
de ses jardins.
Les jours privilégiés nous sont révélés, dans leur intimité,
les bâtiments claustraux.
D’abord la salle du musée, jadis la salle du chapitre, salle
d’étude de la communauté où antiphonaires, bibles latines et la Somme
théologique de Saint Thomas d’Aquin rescapés de l’importante bibliothèque
d’alors, ont été rassemblés, et sous nos pas exactement, la lumineuse plongée
dans une salle de l’abbaye primitive - le scriptorium peut-être ? - vers la
gardienne des lieux, sereine et majestueuse, une tête romane du XIIème siècle.
Lui faisant suite,- aujourd’hui salle d’honneur de la mairie de Léhon -,
l’ancien réfectoire des moines, sacrifié au sens pratique des bénédictins de
Saint-Maur au XVIIème siècle, et réhabilité à la fin du vingtième dans l’envol
de sa voûte retrouvée et la transparence bleu grisé des vitraux de ses hautes
fenêtres gothiques. Seul monastère avec celui de Beauport à avoir conservé
ainsi, en très bon état, un réfectoire médiéval.
Il nous faut ensuite monter le vénérable escalier de bois aux
côtés de combien d’ombres silencieuses, aux capuchons baissés, jusqu’au dortoir
des moines. Les cloisons des cellules ont disparu, reste une immense salle
bellement éclairée par la lumière de la vallée, dévolue désormais à cette autre
forme de prière qu’est la création et aux expositions. Et de découvrir au
second les grands combles et leur impressionnante perspective de charpente de
caravelle. Ici demeure, sorte de basse continue, le mystérieux écho de siècles
de vie monastique rythmés par la règle bénédictine, de l’office premier des
matines au dernier, celui de complies, les prières et les chants, les plaintes
et les soupirs de tous ces hommes qui, dans le renoncement et la quête de Dieu,
vécurent ici.
Une fois redescendus, laissant derrière nous les bâtiments conventuels,
et les siècles passés, nous pénétrons au cœur de ces jardins de l’abbaye, qui
près de la Rance, là-bas se font prairies, à la rencontre en pleine nature de ces six moines qui, les premiers, raconte
la Légende Dorée, venus de la Grande Ile Bretagne et d’Irlande
aussi, s’enfoncèrent au plus profond de l’Argoat inextricable et firent choix
de ce lieu.
En ce IXème siècle, pour ces six ermites point d’abbaye, de
cellier du prieur, plein d’instruments aratoires, de plantes médicinales à
sécher ; point de meule à moudre le grain ; point de citerne de
pierre à recueillir l’eau du ciel, que nous voyons ici, pieusement
conservés ; point de vignes, de potagers et de champs de blé ; point
de moulins… Des huttes de branchages et entre quatre piquets, des litières
d’herbes et de feuilles, leur bure de moine pour vêtement et couverture, des
sandales d’herbes pour leurs pieds nus, la pêche et la cueillette pour
nourriture. Pâles, les joues creuses, hirsutes avec au fond de leurs yeux
brûlants la flamme dévorante de ceux qui ont renoncé à tout ce qui n’est pas
leur foi. C’est ainsi que le Roi Nominoë, qui chassait en ces parages le
sanglier, les trouva et eut pour leur misère grande pitié… La suite - nous la
connaissons, c’est finalement avec l’assentiment du Ciel, qu’ils se firent
voleurs de reliques et obtinrent du roi Nominoë leur monastère.
Six moines au commencement à choisir la terre de Léhon, et
six moines à la fin à s’en arracher pour disparaître à jamais… Comme avalés
dans la Douna, la « Profonde » l’impénétrable forêt du commencement
des commencements, celle des Celtes « planteurs » de menhirs, des
Druides aux trois cercles d’existence, plus tard la Brocéliande des
métamorphoses, des prisons invisibles et du Val sans Retour.
Dans le silence, le Chant du monde.
Il nous vient en ces lieux, l’air vif sur le visage et la
terre retrouvée sous nos pieds, une exaltation proche du vertige. Comme si l’univers s’entrouvrait sur le mystère de notre
présence ici-bas, sur le connu et l’irrémédiablement oublié des origines, dont
nous nous sentons soudain plus proches que jamais et cependant tenus à
distance.
Comme si nous retrouvions en un éclair, héritage d’une
« civilisation immémoriale », les strates de nos âmes successives
porteuses de tout ce que nous avons cru et croyions encore et qui demeurent en
nous autres Bretons, selon Anatole Le Braz, « à l’état de forces
souterraines demeurées vivantes et agissantes ».
Comme si, en ces lieux sacrés, parcelles de Dieu ne pouvant
être anéanties, elles vibraient en nous…
Nous, un instant, harpes éoliennes de l’univers.
Yveline
Féray
Dinan – 15 octobre 2014
(Copyright : revue "Le Pays de Dinan" 2014)
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