Célébration, avec un bon verre de vin, de la sortie malouine de Le Vertige du Rhombus ! |
Chers amis lecteurs,
Pour célébrer la sortie malouine du livre chez mon éditeur Pascal Galodé, et comme promis, je vous présente ci-dessous un résumé et un extrait de Le Vertige du Rhombus.
Je suis toujours chez moi en Grande-Bretagne, mais le jour de cette célébration, un somptueux orage a éclaté juste au-dessus d'où j'habite, et j'ai pris ça comme une sorte de bénédiction du livre par les dieux de l'orage...
J'espère de tout coeur que vous aimerez mon nouveau-né. :-)
J'espère de tout coeur que vous aimerez mon nouveau-né. :-)
Un court résumé
Mars 1942, Anne de Tréharec, son frère James et leur précepteur quittent Paris et les bombardements alliés pour se réfugier sur l’Île Verte, le siège ancestral de leur famille. Leur voyage contre la montre pour prendre le bateau est d’autant plus angoissant que, dans le coffre de leur voiture, ils cachent un passager clandestin.
Juillet 2012, Arnaud de Tréharec, un adolescent de quinze ans, en vacances sur l’Île Verte, trouve un vieux cahier dont la lecture va bouleverser sa vie. Sieg, un Allemand de dix-sept ans, arrive sur l’île, porteur d’un écrasant secret. Rien ne prépare les deux garçons à ce qu’ensemble ils vont découvrir.
1942 : l’île est sous la botte allemande depuis deux ans, mais les difficultés quotidiennes liées à l’Occupation sont peu de chose en comparaison des disparitions d’enfants qui terrifient les îliens et alimentent leurs superstitions. Pour retrouver les disparus, Anne et sa nouvelle amie, Marwen, devront faire face au très mystérieux Rhombus, l’infernal secret des nazis et la raison profonde de leur présence sur l’île.
2012 : de terrifiants phénomènes naturels s’abattent sur l’île. Arnaud et Sieg se retrouvent au centre des terribles répercutions que des évènements passés ont sur le présent. Armés de leur courage et du peu qu’ils savent sur ce qui les relie au grand inventeur Nikola Tesla, ils devront eux aussi faire face au monstrueux Rhombus.
Par-delà le temps, en 1942 et en 2012, auront-ils la force d’affronter le monstre créé par une lignée de génies fous ? Et pourront-ils survivre à l’épreuve inhumaine qui leur sera imposée ?
Un extrait
Pour être sûre de ne pas déflorer l'histoire, j'ai choisi de partager avec vous les huit premières pages de ce second tome, soit les trois premiers courts chapitres. Cette toute petite mise en bouche vous présentera les deux narrateurs de l'histoire : Anne en 1942 et Arnaud en 2012.
PS: Pour ceux qui ont lu le premier tome, Marwen et Gaël sont aussi activement inclus dans ce second livre...
Côtes-du-Nord,[1] mars 1942
Un cahot plus violent que les autres précipita Anne de Tréharec contre le siège avant de la voiture et la réveilla en sursaut. Elle se frotta les yeux et passa ses doigts engourdis dans son épaisse chevelure brune. Combien de temps avait-elle dormi ?
Un coup d’œil par la fenêtre lui indiqua que le paysage n’avait pas changé depuis des kilomètres : des chemins étroits encastrés entre de hauts talus broussailleux qui bouchaient la vue et lui donnaient envie de vomir. Alors qu’elle tournait la tête, une toupie sombre tournoya devant ses yeux. Anne réprima à grand mal une nausée. Elle ne voyageait pas bien en voiture.
Coincée sur le siège arrière au milieu d’un amas de valises et de sacs, Anne frissonna. Il faisait froid dans la vieille Citroën qui cahotait péniblement sur la route pleine d’ornières.
— C’est un vrai parcours du combattant cette route ! grommela le Frère Jean.
Une main sur le volant, il s’empara de ses petites lunettes à monture métallique et essaya de les astiquer contre son chandail avant de les replacer sur son nez.
— C’est ma myopie, mes lunettes, la buée dedans ou le brouillard dehors ?
— Sans doute un peu des quatre, répondit son passager, un adolescent blond dont le regard tentait lui aussi de percer le flou combiné de la condensation intérieure et de la brume extérieure.
Le Frère Jean passa une main impatiente sur la vitre devant lui.
— C’est une vraie purée de pois ! U-ne-pu-rée-de-pois, répéta-t-il plusieurs fois en appuyant sur chaque syllabe.
L’adolescent se retourna et fit un clin d’œil taquin à sa sœur. Anne se força à lui répondre par un sourire.
— Quelle heure est-il James ? demanda le Frère. Malgré ses efforts pour sembler détendu, la tension dans sa voix était presque palpable.
James se rassit face à la route et jeta un coup d’œil à sa montre.
— Presque quatre heures.
— Aïe, dit le Frère. La nuit tombe déjà.
— Vous croyez qu’ils ne vont pas nous attendre, demanda Anne en tentant, elle aussi, de masquer l’anxiété dans sa voix.
— À cette allure… commença le Frère. En plus ils ne connaissent pas la date exacte…
— Ils nous attendront, dit James.
Il se retourna à nouveau vers sa sœur et, son regard bleu fixé dans le sien, il répéta tout bas : « Ils nous attendront ».
Son visage était calme et assuré.
Anne détourna les yeux. Bien qu’elle sache que son frère voulait la rassurer, le vieil énervement remontait en elle. Il ne pouvait rien lui promettre de la sorte et ferait mieux de se taire.
Elle soupira, se laissa glisser un peu sur la banquette et posa sa tête contre le dossier. Elle allait se laisser aller de nouveau au sommeil quand une ombre gigantesque comme un homme aux ailes déployées apparut juste devant la voiture. Le Frère Jean freina en tournant le volant de toutes ses forces. Le véhicule fit une embardée vers la gauche puis s’arrêta net contre le rebord du chemin creux. Le rebond secoua violemment les trois passagers.
— Qu’est-ce que c’était, dit le Frère en haletant.
— On a écrasé quelqu’un, balbutia Anne les yeux dilatés d’horreur.
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Île Verte, juillet 2012
Île Verte, juillet 2012
Arnaud de Tréharec ne bougeait pas.
L’adolescent ne semblait remarquer ni la chaleur lourde qui avait banni toute fraîcheur du vieux grenier, ni la mouche ivre qui se heurtait en vrombissant contre la vitre brûlante. Sous la fenêtre entrouverte, qui ne rendait pas un souffle d’air mais dans la clarté de laquelle Arnaud était assis, il ne paraissait pas conscient de ce qui l’entourait.
Sa tignasse brune, retenue par une vieille épingle à cheveux de sa mère au-dessus de ses sourcils froncés, son haut front et l’espace entre son nez droit et ses lèvres remplies avaient beau être mouillés de sueur, cela le laissait indifférent. Rien, semblait-il, n’aurait pu le distraire de sa lecture passionnée.
Graduellement, la lumière intense du soleil de juillet s’atténua, tamisée par le passage d’un rideau de nuages sombres. Un grondement doux ronronna mollement dans le lointain. Ni la brise fraîche qui se glissa enfin par la lucarne du grenier, ni la porte qui claqua dans les profondeurs silencieuses de la vieille maison ne sortirent le garçon de sa transe. Seule sa main droite bougeait de temps en temps pour tourner délicatement une page jaunie du vieux cahier qui l’absorbait.
Lorsque soudain un hurlement retentit près de lui, il sursauta.
— Ce con de Bertrand ! marmonna-t-il en tendant la main vers son portable qu’il mit en haut-parleur.
— Enfin je peux t’avoir dans ton trou paumé ! dit une voix moqueuse au bout du fil. Ça fait des jours que j’essaie.
— J’avais oublié que t’avais changé ma sonnerie ! dit Arnaud. J’étais au bord de la crise cardiaque !
Un rire sardonique explosa dans le haut-parleur.
— Faut bien te réveiller de temps en temps ! Tu t’embêtes pas trop chez les culs-terreux ?
Ne serait-ce que deux jours plus tôt, Arnaud se serait lancé dans une invective contre l’Île Verte où il était forcé de passer ses vacances, loin de ses amis et loisirs favoris : à son âge, pas loin de seize ans, un véritable scandale. Mais tout avait changé si brusquement et si récemment que Bertrand semblait maintenant faire partie d’un autre monde et qu’Arnaud ne savait que lui dire.
— Ça pourrait être pire, dit-il avec un soupir.
— Waouh ! dit Bertrand. Changement massif !
— Non, commença Arnaud, c’est juste que je suis bien obligé de m’y faire… J’ai encore deux mois à tirer.
— La Gitane t’a pas encore fait tourner chèvre ?
La mention de sa mère sous son pseudo de « la Gitane » finit de le sortir de sa transe et le précipita dans la navrante réalité de sa vie. Il était convaincu que sa mère était la source de tous ses problèmes, le poison qui lui gâchait l’existence. Ce n’était pas qu’elle soit tout le temps sur son dos à lui dire que faire, mais c’était d’une façon beaucoup plus subtile qu’elle réussissait à envahir tous les aspects de sa vie sous des faux airs de complice.
— M’en parle pas ! s’exclama Arnaud. Elle me gonfle sérieusement, mais heureusement qu’elle a ses copines et leurs gosses pour l’occuper. Par contre moi, entre leurs chants tribaux du fin fond de la Papouasie et leurs mioches qu’arrêtent pas de hurler...
Bertrand éclata de rire.
— Avoue que ça te manque maintenant, mon Death Metal [2] !
Arnaud émit un gloussement sceptique.
— Et la tienne de mère, toujours aussi « pas chiante » ?
— Faut pas se plaindre, dit Bertrand d’un ton satisfait, elle est tout à fait gérable. Je l’ai bien matée. C’est mon père qui craint. Il s’est mis dans le crâne que je devais bosser cet été.
— Pour gagner de l’argent ? Veinard !
— Non, pour rattraper mon retard scolaire !
— Aïe, dit Arnaud.
— Évidemment toi, avec les notes que tu te tapes, t’as pas ce problème !
— Non, mais je suis pourtant coincé au bout du monde, sans personne, et j’ai même pas encore reçu mon VTT.
— Ben, t’es coupé de la civilisation sur ton île. Mais au moins tu peux nager ou surfer. T’es trop con si t’as pas capté ça !
— J’ai capté ! Et j’en ai bien profité depuis mon arrivée, mais au bout d’un moment…
— Ouais, je sais, j’te manque !
Le rire sardonique de Bertrand retentit à nouveau dans l’écouteur.
— C’est ça ! dit Arnaud.
— Bon, faut que je te laisse, autrement mon paternel va en faire une jaunisse quand il va voir ma note de portable.
— La Bretagne c’est pas l’Australie ! protesta Arnaud. Allez, gamin, va faire tes devoirs !
— Et toi, va bouffer ton porridge bio en écoutant tes chants de zoulous ! À plus !
Arnaud rit. La voix de Bertrand se tut et l’écran du portable s’éteignit.
Un éclair illumina l’épais couvercle de nuages noirs et un craquement grave le suivit. De grosses gouttes de pluie vinrent s’écraser sur la vitre du vasistas et une odeur de terre humide rafraîchit l’atmosphère lourde du grenier.
Arnaud frissonna.
Il serra le vieux cahier contre lui avant de le remettre dans la caisse de paperasseries où il l’avait découvert. Il laissa sa main traîner un instant sur la caisse, puis, un sourire étrange aux lèvres, il s’approcha de la lucarne entrouverte, huma l’air frais et tendit son visage vers la pluie tiède, manne généreuse descendue des profondeurs grondantes du ciel.
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Côtes-du-Nord, mars 1942
— Ne bougez pas d’ici, je sors ! dit le Frère Jean. Sa voix altérée en disait long sur son angoisse.
Il ouvrit la portière et un peu de l’épaisse fumée du brouillard entra dans la voiture.
— Surtout ne sortez pas, répéta-t-il en s’extirpant de son siège, ce temps est trop malsain.
Il ne mentionna pas la question qui les hantait tous les trois : avaient-ils renversé quelqu’un ? Y avait-il un blessé ou un mort sur la route ?
La portière se referma derrière lui. Un peu du froid humide et stagnant de l’extérieur transperça James et Anne de Tréharec. Anne vit son frère machinalement retenir son souffle. Inspirer du brouillard rendait malade, on le leur avait rabâché toute leur enfance. Elle eut envie d’ouvrir la fenêtre pour s’en emplir les poumons, juste par esprit de contradiction.
Sans se retourner, James allongea son bras gauche vers sa sœur. Elle ne répondit pas à son geste et au bout d’un moment il retira son bras. Le frère et la sœur restèrent ainsi, chacun enfermé dans son angoisse, sans oser parler ni regarder par la lunette arrière.
Dans la confusion qui suivait l’accident, Anne se demandait si on avait ou non ressenti un choc avant de heurter le rebord de la route. Si on avait ou non renversé l’être fantastique qui avait surgi devant la voiture. Elle aurait juré que le personnage s’était comme coupé en deux sous leurs yeux. D’un côté le corps qui s’était effondré sur la route et de l’autre les ailes qui s’étaient envolées. Impossible !
Le brouillard épaississait dehors. Le temps passait si lentement qu’il semblait à Anne que le Frère Jean était parti depuis des heures. James dut sentir la tension de sa sœur, à moins qu’il ne l’ait ressentie lui-même, car il se tourna vers elle.
— Je vais aller voir si je peux aider le Frère, dit-elle.
— Non ! s’exclama James. Ça pourrait être dangereux et il nous a fait promettre de rester ici.
— S’il a un problème, il aura besoin d’aide.
— C’est vrai, dit l’adolescent. J’y vais.
— Mais ta j… dit Anne.
Elle se mordit la lèvre. On ne mentionnait jamais la polio qui avait rendu son frère infirme. De remords, elle s’empara de la main de James. Elle devina dans la pénombre qu’il lui souriait avec reconnaissance.
— Ne t’inquiète pas, dit-il, je suis tout à fait capable de me débrouiller. En plus, c’est moi l’aîné, laisse-moi y aller.
— Bien sûr ! dit Anne, essayant d’exprimer dans sa voix toute la confiance qu’elle n’avait pas en la force de son frère. Mais je pourrais moi aussi aider. Je viens avec toi !
Alors qu’ils s’apprêtaient à sortir, une forme lourde et tordue surgit du brouillard et frappa furieusement à la vitre d’Anne. Le frère et la sœur échangèrent un regard anxieux.
Un visage familier se colla presque à la glace. C’était le Frère Jean.
— Ouvrez vite et faites de la place pour un passager, dit-il.
Sans prendre le temps de réfléchir, Anne ouvrit la portière et commença à jeter les sacs qui embarrassaient l’arrière de l’auto vers les sièges avant. James les reçut comme il le pouvait. Elle eut à peine le temps de glisser le long de la banquette qu’un grand corps s’effondrait lourdement à ses côtés.
— James, passe-moi vite une couverture, dit le Frère, le visage empourpré par l’effort.
Il enveloppa le corps sans vie avec la couverture du mieux qu’il le put.
— Anne, ajouta-t-il après avoir réfléchi un instant, mieux vaudrait le pousser vers le milieu du siège et toi tu prendras la place près de la fenêtre. Il ne faut surtout pas qu’on le voie.
Au prix d’une gymnastique compliquée, Anne réussit à suivre les instructions du frère. À peine fut-elle de nouveau installée près de la vitre que la tête de l’inconnu, dodelinant sous la poussée, tomba contre l’épaule de l’adolescente. Elle essaya de distinguer ses traits mais ne put voir qu’une masse enchevêtrée de boucles d’un noir de jais.
— James, repasse-moi les sacs qu’on le cache dessous, dit le Frère Jean.
— Mais ça va l’écraser ! protesta Anne.
Elle se sentait responsable du propriétaire de la tête qui pesait sur son épaule.
— On va faire attention, dit le Frère, mais il ne faut surtout pas qu’on le trouve. Allez, vite ! On n’a pas une minute à perdre !
Anne sursauta quand elle sentit soudain quelque chose frôler sa jambe. Elle vit que la main de l’étranger avait glissé et la prit doucement pour la remettre sous la couverture. C’était une main solide, une main de pêcheur ou de paysan, dont Anne sentit la rugosité mais qui, bien qu’inanimée, était souple et tiède. L’adolescente poussa un soupir de soulagement : Dieu merci il était bien en vie !
Les bagages arrangés tant bien que mal pour dissimuler le passager sans l’étouffer, le Frère claqua la portière et reprit sa place sur le siège du conducteur.
— Une prière pour que la voiture démarre, dit-il en tirant le bouton de démarrage.
Après plusieurs essais, le moteur se mit enfin à crachoter. Le Frère dut s’épuiser au volant pour réussir à remettre la lourde voiture face à la route. Puis, le pied sur l’accélérateur, il lança l’auto à travers l’épais brouillard en direction de la côte.
Un grand oiseau blanc sortit du mur de brume qui engloutissait les talus au bord de la route et, sans un bruit, s’envola derrière la voiture.
[1] À l’époque les Côtes-d’Armor se nommaient les Côtes du Nord.
[2] Le « death metal » (DM) est un sous-genre de la musique « metal », caractérisé par des paroles et musiques sombres et/ou violentes, souvent chantées d’une voix gutturale et grave et parfois accompagnées de hurlements.
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