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Chers amis,
Ce matin j'ai trouvé dans mes mails une critique de La Marque de l'Orage si superbement écrite et profonde dans son analyse que je n'ai eu qu'une idée en tête, celle de la partager avec vous.
Le lecteur qui l'a écrite est un agrégé d'anglais, qui a consacré sa vie à l'enseignement et a écrit un roman palpitant, que je vous recommande chaudement, sur la politique et son influence maléfique sur l'éducation; roman intitulé L'Élitiste (http://www.editionschloedeslys.be/catalogue/629-l-elitiste.html)
Sans plus tarder, la voici (pour ceux qui n'ont pas lu La Marque de l'Orage, elle contient quelques "spoilers", mais rien, je pense, qui pourrait vous gâcher la lecture du livre) :
LA MARQUE DE L’ORAGE
Véronique David-Martin
À cet égard, La Marque de L’Orage est exemplaire. Le roman de Véronique David-Martin s’adresse aussi bien à la jeunesse qu’aux adultes. Rares sont les artistes qui ont réussi à réconcilier tous les âges, et seuls les grands ont osé s’y aventurer : Dickens, Daniel Defoe, Victor Hugo, Jules Verne… Ce n’est pas pour rien que l’héroïne est une lectrice de L’Île au Trésor de Stevenson.
L’histoire de Marwen et de son douloureux cheminement de l’enfance à l’adolescence, de l’innocence à la connaissance, de l’insouciance au poids de la mission, confrontée au monde hostile des adultes, dans le climat qui a précédé puis suivi le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, est captivante pour tous les publics, même ceux qui n’ont pas vécu ces temps troublés.
Roman d’initiation, car Marwen, fillette attachante, n’est pas comme les autres. Elle porte un secret symbolisé par le Manac’h, une forme lumineuse qui la suit, visible par elle seule. À la fois gamine réprimandée et l’Élue, chargée par l’Esprit de la forêt de trouver la Prophétie qui concerne le destin d’Enez Disrann, l’île de la disparition, l’Île Verte, paradis perdu où a subsisté une forêt de légende hantée par une Bête sanguinaire, personnification du Mal.
Roman de la quête d’une identité. Qui est Marwen ? Elle s’interroge sur elle-même : « Qui étais-je dans le passé ? Est-ce que ça peut expliquer qui je suis maintenant ? » Est-elle vraiment l’Élue ? N’a-t-elle pas inconsciemment usurpé ce rôle qui revenait à son ami Gaël, auquel elle n’a pas su transmettre la pierre d’orage de la sorcière Maïa ? N’est-ce pas à lui que croyait s’adresser le personnage encapuchonné de blanc, en appelant Marwen « toi, toi, mon petit roi. » ? Pourtant sa route est parsemée de symboles : l’étoile à six branches, le cerf blanc, la dame blanche, la marque des trois lignes parallèles sur la pierre d’orage qui parcourt le livre d’une sorte de leitmotiv obsédant.
Roman fantastique paradoxalement porté par une approche réaliste d’un milieu social ancré dans une époque, de septembre 1939 à juin 1940. Le procédé tend à amener le lecteur à cette « suspension of disbelief » chère au roman anglo-saxon, ce coup d’arrêt à son incrédulité initiale devant une fiction qui l’induira à être séduit par la vérité des situations, des descriptions et des dialogues : une rentrée scolaire, l’atmosphère d’une classe de filles, les contes de Marie-Louise, la fille de Jeanne la blanchisseuse. Parfois le récit fait même jaillir le fantastique d’une scène naturaliste, comme celle de l’agression du père Digar et de son chien, où l’enfant patauge dans la boue pour leur échapper et perd une chaussure.
Le réalisme alimente aussi une précieuse chronique familiale, des morceaux d’anthologie comme le repas de première communion, où le regard impitoyable de l’enfance sur le monde des adultes n’épargne ni le maire ni le curé. Ce regard se fait plus implacable encore lors de la mort et des obsèques de Mamie Constance, la grand-mère de Gaël.
Roman de la solitude de l’enfance où la recherche de l’amitié se heurte à l’incapacité de la recevoir, comme celle offerte de Gaïd la demeurée en butte aux moqueries de ses camarades, ou de l’obtenir, comme celles d’Isabelle la superficielle et de la méchante Katel Le Coven. Solitude de l’héroïne investie d’une mission impossible : « Je suis l’Élue, on se sent seul au sommet. »
Roman des mal-aimés. À la privation de tendresse maternelle chez Marwen répond l’absence d’amour paternel chez Gaël et le flou de son identité : de qui est-il le fils illégitime ? Ces manques tissent les liens d’affinité entre les deux enfants et le couple lumineux de Marwen et Gaël, plein de pudeur, d’humour et de rivalité fraternelle chasse un moment les ombres menaçantes qui planent sur l’Île.
La grande image émergeant du monde de Marwen, le personnage qui concentre en lui toute la chaleur humaine que sa mère lui refuse, c’est son père, le docteur Goulaouenn, investi de respect et d’admiration. Nul auteur n’a su rendre avec tant de force la valeur d’un père aimant pour une fillette et la dure expérience de son départ à la guerre.
Il est donc naturel qu’elle le choisisse indirectement comme son seul confident en écrivant son journal dans le cahier qu’il lui avait offert pour qu’elle y inscrive ses pensées sur le Manac’h. De janvier à juin 1940, l’histoire est le long monologue de Marwen, privée de Gaël, dans le coma après avoir été frappé par la foudre. De découverte en découverte, de fausses pistes en mystérieux indices, l’intrigue progresse par étapes vers son dénouement, ponctuée par les rêves de Marwen où alternent des visions de la Bête, du cerf blanc, de l’étoile à six branches.
L’atmosphère oppressante de cette quête de la Prophétie est adoucie par le personnage d’Anaïk, la petite sœur de Marwen encore bébé, qui symbolise l’espérance, la naïveté, le bonheur du jeune âge pour qui la vie est un rire joyeux. Marwen prendra le risque de s’en éloigner et imprudemment la laisser seule pour accomplir sa mission supérieure dans la forêt mythique d’où elle émergera meurtrie, mais triomphante.
À la lecture de cette œuvre magique et poignante, souhaitons qu’un cinéaste talentueux le porte à l’écran. Il sera séduit par le sens aigu des décors et des apparitions féériques, dont le plus singulier est sans doute la scène finale de l’épreuve de Marwen, perdue dans une forêt peinte en trompe-l’œil sur le roc. Ce n’est pas un mince exploit pour l’auteur que de réussir à nous tromper pareillement et par son talent, nous emporter dans un tourbillon fantastique étourdissant, après nous avoir convaincu que son récit n’était qu’une fidèle transcription de la réalité. Seuls les grands artistes y parviennent.
« Les légendes sont des histoires inventées, mais qui ont au départ quelque chose de vrai. Elles existent pour nous distraire mais aussi pour nous enseigner. » dit Marie-Louise. On apprend beaucoup dans ce livre, l’un de ces rares romans que l’on ne referme jamais définitivement mais dont on découvre de nouvelles richesses en les relisant.
Jean-Claude Texier
L’Élitiste (Chloé des Lys 2012)